La distance qui sépare Cotonou, la capitale économique du Bénin, de l’unité de production du Grand Cru de karité Karethic dans l’Atacora est comparable à un Paris-Marseille, le confort de l’autoroute en moins.
Pourtant Glwadys, ma sœur, qui coordonne la production au Bénin, et moi ne nous rendions pas en vacances à la mer, mais au travail pour produire et livrer à temps le beurre Grand Cru de karité attendu par nos clients en France, en Europe et en Asie. Comme à l’accoutumée, le lancement de la production débute par une rencontre avec les coopératives de productrices de karité. Cette année, les événements de 2014 (arrivée de nouveaux négociants d’amandes dans l’Atacora, baisse de la production du karité et du revenu des femmes) promettaient une longue séance d’échanges.
En effet, tous les 4 ans, l’arbre de karité prend du repos et produit moins d’amandes. L’année 2014 fut donc très difficile pour les femmes. La campagne de 2015 en revanche s’annonce excellente et nous sommes heureuses de constater, en arrivant sur l’unité de production, que 20 femmes de la coopérative de Mawantika ont déjà débuté la transformation de leurs amandes en beurre, chacune répartie dans les différents ateliers : 5 femmes au lavage et séchage des amandes, 5 femmes à la torréfaction, 5 femmes au barattage, 2 femmes à la cuisson et 3 femmes au conditionnement.
Les productrices apprennent avec soulagement que cette année, nous prévoyons de produire 10 tonnes de beurre Grand Cru de karité, soit le double de ce que nous produisions jusque-là. Cela leur permettra de compenser la perte de revenu de l’an dernier.
La présidente de la coopérative de Nodi souhaite que la prime au développement soit dédiée cette année à la confection de l’uniforme d’écolier des plus jeunes. Celle de Yedekanhoun estime que la priorité devrait être un second magasin de stockage des amandes, tandis que les femmes de Materi proposent qu’une femme parmi les productrices soit désignée pour gérer la cantine de l’unité de production. Les décisions sur l’utilisation de la prime étant prises en amont de la réunion par chaque coopérative, nous n’avons qu’un rôle consultatif. Le lendemain, le couturier de Materi apprend qu’il sera en charge de la confection des uniformes d’écoliers, Mariama est désignée pour gérer la cantine pour l’ensemble des coopératives. Quant au magasin de stockage, je l’inscris dans le budget de 2016.
J’ai une pensée pour nos clients en France et en Europe qui se sont mobilisés pour préfinancer 30% de la récolte. Fin août, nous devrons expédier 4 tonnes de beurre Grand Cru de karité conditionnées en seaux et cartons de 10 kg, puis un second container partira en novembre.
Dans l’assemblée, se tient assise et l’air fatigué, Pauline, la secrétaire de la coopérative de Materi, l’unique femme parmi les productrices ayant fait des études et qui m’a confié en 2013 vouloir gérer plus tard une usine de production d’huiles végétales. Nous lui avions alors proposé la coordination de la production de karité de 2013 et le système de traçabilité noté dans les registres de collecte et de production. Pauline s’en était bien sortie et souhaitait cette année échanger avec Glwadys sur les activités de gestion que nous pouvions lui confier. Elle tenait à assister à la réunion alors que son état de santé ne le lui permettait pas. Glwadys lui conseilla de se rendre à l’hôpital, puis de se reposer. Le lendemain, des cris et des pleurs nous annoncèrent son décès. Pauline a succombé à la fièvre jaune en rentrant de l’hôpital. Elle avait 4 enfants. À l’urgence de scolariser les plus jeunes s’ajoutait l’urgence d’assurer l’accès à la santé pour les mères. Car nous l’apprendrons plus tard, Pauline était enceinte et les hôpitaux au Bénin sont de vrais mouroirs.
Traditionnellement, un décès est suivi de 4 jours de deuil. Nous décidons donc d’arrêter la production. Mais le lendemain, les productrices de Materi étaient sur place. Elles avaient disposé dans chaque atelier de l’unité de production une plante qui avait le pouvoir d’apaiser l’âme de Pauline et leur permettait de travailler durant la période de deuil. La plante avait un parfum d’ortie mais n’en avait pas l’aspect. La production se poursuivit avec des journées de pluie diluvienne, ralentissant le séchage des amandes et de coupure d’électricité, imposant au meunier une journée de repos.
Glwadys et moi entrions dans l’unité de production à 07h et en ressortions parfois à 22h, le temps de remplir les registres de présence, collecte, production et paie des femmes contrôlées par Ecocert et préparer la journée suivante. Le temps passait pourtant très vite grâce aux plaisanteries des femmes, les anecdotes et contes mystérieux du gardien de l’unité de production et du meunier lorsque nous attendions patiemment la fin de la pluie sous le hangar de barattage. Des disputes entre les productrices survenaient parfois lorsqu’il s’agissait de savoir qui n’avait pas nettoyé sa blouse de production la veille ou qui avait tendance à consommer trop de savon de karité. Mais tout rentrait dans l’ordre grâce à la sagesse d’Ama, la présidente des coopératives.
Chaque jour sur l’unité de production apporte son lot de surprises. Le chauffeur du camion qui transporte les amandes de chaque coopérative vers l’unité de production refusait désormais de se rendre dans les villages car la pluie rendait les routes impraticables. Pourrons-nous tenir les délais dans ces conditions ?
Il faudra sans doute reporter le départ du container mais nos clients le comprendront-ils ? Je me sentais impuissante et tentais de me rassurer chaque jour en comptant les seaux et cartons de Grand Cru de karité tout en humant le parfum réconfortant et gourmand de la mouture et du beurre Grand Cru de karité fraîchement produits par les femmes.
Karethic leur garantissait un revenu, certes, mais l’environnement dans lequel nous travaillons à de quoi saper le moral de toute personne volontaire. Face à la démission de l’Etat, que faire de plus, à part s’engager en politique pour agir sur l’essentiel, dans les zones rurales comme partout ailleurs au Bénin, le droit à la santé et à l’eau potable, à l’éducation, à l’autonomie énergétique, à une alimentation saine, à des routes sûres ?
Je me mets à rêver d’une des filles des productrices de karité présidente du Bénin quand l’appel de Cécile, la fée de Karethic, me ramène à la réalité. Nous avions une mission concrète à réaliser et avions déjà pris beaucoup de retard. Il nous fallait utiliser notre véhicule pour collecter les amandes de karité auprès des coopératives. À la fin de la tournée, sur des chemins parsemés de trous immenses, les freins et les amortisseurs étaient dans un piteux état. Par précaution, Glwadys le fit contrôler avant notre retour à Cotonou. Cela n’empêcha pas notre accident qui nous fait penser aujourd’hui que si les miracles existent, nous en avons vécu un.
Deux semaines plus tard, Glwadys, qui a failli perdre la vie dans l’accident, est alitée, sous antidouleurs, mais pilote l’expédition de 3 tonnes de beurre Grand Cru de karité de son lit, le téléphone portable vissé à l’oreille. Le beurre sera livré à temps. Certains le recevront en seaux ou cartons de 10 kg, d’autres en pot de 50 ou 500 ml. Seuls ceux qui liront ces lignes connaîtront son histoire.
Je reste bouche bée face à la force de caractère de ma sœur, et me demande, pour la première fois depuis la création de Karethic, si cette activité valait la peine que nous risquions nos vies. Et si comme la plupart des femmes de notre âge, nous nous contentions d’une activité moins riche en aventures, de notre vie de famille, et de vraies vacances ? Glwadys me répond en souriant « si je pouvais marcher, je reprendrai la route pour l’Atacora dès demain, ce n’est pas en abandonnant que la situation changera ». Je repense alors à Pauline qui nous prenait pour modèle et voulait entreprendre elle aussi. Pour Pauline, comme pour tous ces jeunes qui ne rêvent pas d’Europe mais d’entreprendre et créer des emplois dans leur pays, nous n’avions pas le droit de reculer. Après tout, nous avons la chance d’être encore en vie pour agir.
Karethic est une entreprise familiale, première marque triplement certifiée biologique, équitable, vegan et cruelty-free. De la production du karité au Bénin au cœur de l’Atacora, région reconnue réserve de Biosphère par l’Unesco à la fabrication des produits en France nous avons à cœur de préserver tout un écosystème pour maximiser notre impact social et environnemental positif. Nous faisons le choix d’un mode de production artisanal et durable qui valorise et préserve le savoir-faire de millions de femmes et les ressources de l’arbre de karité. Notre beurre de karité « Grand Cru », frais, pur, non traité (non raffiné) nous permet de créer des cosmétiques simples, d’efficacité supérieure avec une démarche minimaliste, zéro déchet et zéro pollution . *En savoir plus*